* Focus sur les interventions
Rappelons d’abord qu’une « main » ( une écriture …) ne correspond pas obligatoirement à une personne unique. Alors pour résumer et simplifier :
* Avant l’annotateur J, le codex Bezae était constitué d’un texte brut sans annotation dans la marge.
* L’annotateur J fut probablement le premier à écrire sur la page qui nous intéresse ( 150b, Jean XII, 1-12 ). Étrangement il ne réalisa qu’une seule annotation liturgique à la page 150b qui devait donc ressembler à ce qui suit :
* Probablement à la même époque l’annotateur M ( et peut être ses dérivés M2,M3 …) apporta d’autres annotations liturgiques ainsi que les Hermeneiai .
* Enfin l’annotateur L modifia profondément le codex Bezae, il rectifia notamment l’annotation précédente en :
* L’origine du codex Bezae
Il existe différentes écoles mettant en avant leurs arguments avec plus ou moins d’honnêteté. L’origine « du sud de la gaule » fut soutenue très tôt par Scholz , Scrivener, Harris et Sneyders de Vogel. De leurs côtés Parker, Stone, Lowe et Brightman l’ont écarté en survolant les arguments et en minimisant ceux qui leur étaient contraires ( notamment la comparaison des sortes avec celles du codex Saint Germain proposée par Harris). Brightman explique par exemple que les notes liturgiques n’étaient pas celles utilisées dans l’église en Gaule, il en a donc conclu que le codex n’avait pas cette origine ( en réalité le codex présente parfois un mélange des deux, Harris page 30,31 ). Le seul argument qui semble trouver grâce à leurs yeux est le fait que les verbes en latin de la troisième conjugaison aient tendance à devenir de la seconde.
Ce qui me semble cohérent est que ce texte est fortement marqué par une origine byzantine, origine qui s’est progressivement atténuée au cours des siècles. Irénée de Lyon utilisait principalement le grec et des échanges avec d’autres églises orientales ont continué à se réaliser après sa mort. Il est logique qu’un « foyer religieux de culture grecque » ait existé ensuite sur Lyon. De plus il ne me semble pas cohérent qu’un manuscrit produit et utilisé en orient (et n’étant bizarrement plus annoté depuis le VI siècle ) fut envoyé à Lyon au XI siècle dans le but d’y subir une restauration . Ensuite il n’en serait plus ressorti (ou revenu, puis à nouveau reparti …) pour être enfin retrouvé en 1562 par Théodore de Bèze ! . La « caractéristique orientale » des annotations donne une idée de la culture des annotateurs et non obligatoirement du lieu où ils résident.
À ma connaissance, aucun des chercheurs ne s’est intéressé au chrisme de la page 150 et à sa particularité de présenter deux lettres « S » dans sa partie inférieure. Cette caractéristique n’est pas sans rappeler celle que présentent les chrismes pyrénéens . Après de nombreuses recherches, je n’ai jamais trouvé de modèles ressemblant en orient. ( chrismes sud ouest )
* L’erreur est humaine …
L’erreur est humaine, mais elle a ses limites. Quoi qu’il en soit elle doit pouvoir s’expliquer.
Parmi les erreurs relevées nous trouvons une énorme faute d’orthographe jamais rectifiée, celle qui concerne le mot Sabbato orthographiée par deux fois Sabato ( voir trois fois, cf Kipling ).
Alors comment peut-on imaginer qu’un prêtre :
– capabledeliredestexteslatinsetgrecssansponctuationsetséparationsdesmots
– lisant ce mot en grec ou en latin des centaines de fois au cours de l’année ( car présents dans le codex ) avec la même orthographe qui comporte deux lettres « B » (σαββατο , sabbato ).
,l’orthographie à deux occasions avec une seule lettre !
On ne peut pas évoquer l’erreur d’inattention, car cette erreur ne fut jamais rectifiée.
De la même façon les erreurs sur les dizaines de mots περι transformé trois fois en περη sont inexplicables.
Je débute en grec, mais le fait de ne pas mettre le bon article afin de respecter les déclinaisons d’un mot « me saute aux yeux » et me paraît complètement aberrant ( « το κυριακη » en page 150 ), pourtant je suis très loin d’avoir le niveau en grec de ce prêtre capable d’annoter un codex. Ceci est d’autant plus incompréhensible quand on constate que dans le reste du codex, il respecte le génitif pour toutes les autres annotations ( του σαββατου , του κυριακη ).
Selon Harris l’annotateur L maîtrise mieux le latin que le grec. Je veux bien le croire, mais alors pourquoi chercher à annoter le texte grec et non le texte latin ?
Selon Parker il se trouve en Orient alors pourquoi est-il si mauvais en grec ?
Cependant, certains chercheurs se sont quand même posé des questions. Par exemple Harris ( « A study of the so-called western text of the new testament », 1891, page 14 ) s’étonne à juste titre que les lectures de plusieurs samedis et dimanches (ανναγνοσμα souvent suivi de περι του σαββατου ou περι του κυριακη ) ne soient pas accompagnées d’une indication sur l’événement concerné . Ce même auteur avait, je le rappelle, relevé la confusion entre les samedis et dimanches.
La seule explication logique est que certaines de ces erreurs soient faites dans le but d’attirer l’attention.
Si c’est le cas, il doit y avoir une cohérence dans ces erreurs ( que l’on ne retrouve pas dans le cas d’erreurs aléatoires ) et c’est ce que je vais chercher à vérifier.
* La samedi de Lazare
Pour les chrétiens orthodoxes et les catholiques orientaux, la période de la Pâques est différente de celle vécue en occident. Le samedi de Lazare est en dehors des quarante jours de pénitence du Carême comme il est aussi en dehors de la Semaine Sainte. En fait le samedi de Lazare associé au dimanche des rameaux constitue une période à part dans la liturgie byzantine. La lecture de la page 150 du codex concerne cette période et Harris se demande si cette lecture ne se faisait pas lors d’un Baptême réalisé un des dimanches avant Pâques. En fait cette lecture concernait très probablement le samedi de Lazare, deux arguments le montre.
Le premier est que c’est lors de ce samedi particulier que se faisaient des baptêmes, comme l’explique Brightman dans la partie précédente ( à l’époque les baptêmes se faisaient à quelques dates précises ). L’auteur de l’article suivant explique en page 111 que le mot ϕώτισμα que l’on trouve dans προϕώτισμα étaient synonymes de baptême.( Recherches au mont Athos )
Le deuxième nous est donné par le célèbre Cabrol ( Les églises de Jérusalem… page 83,84,85 et 86 , pdf 98 à 101/226 ). L’évangile de Jean XII 1-12 était lu lors du samedi de Lazare dans la liturgie orientale au IV siècle . Cet évangile a la particularité de présenter une première partie concernant Lazare pouvant être lue le samedi de Lazare, suivie d’une deuxième partie pouvant être lue le jour des rameaux. Cependant il est aussi possible qu’il soit question d’un dimanche de Lazare que l’on trouve dans la liturgie Mozarabe et gallicane ( voir page 83 où il est question de missel gothique ), je développerai dans la troisième partie.
Donc le texte de la page 150 concernait probablement un samedi (σαββατο) et non un dimanche ( κυριακη ). Comme je l’ai déjà précisé, cette confusion entre les deux jours, identifiée par Harris se retrouve plusieurs fois dans les annotations du codex . En fait le samedi ainsi que le dimanche qui le suit sont intimement liés et c’est ce que l’annotateur L va essayer de nous faire comprendre par différentes erreurs, ceci afin de souligner l’importance de la page 150.
* L’erreur περη et le grand parchemin
L’étude « Ad Genesareth » démontre qu’il n’a pas de hasard dans ces erreurs et que l’auteur du grand parchemin connaissait cette particularité. Il reste à essayer d’en comprendre le but. Je veux préciser que ce qui vient d’être dit est un fait vérifiable alors que ce qui va suivre est une interprétation.
Le mot περι signifie « vers » et l’expression « ad Genesareth » signifie « vers Genesareth ». Il faut aussi se mettre à la place d’un prêtre, dont la vie est rythmée par la lecture quotidienne des évangiles, afin de comprendre quelle sera sa façon de raisonner.
Dans les évangiles cités, les disciples assis dans leur barque se dirigent vers Genesareth situé sur la rive occidentale du lac de Genesareth, il faut alors s’intéresser au lieu qu’ils viennent de quitter. Ce lieu est Bethsaïde situé au nord du lac de Genesareth. Je pense que l’erreur sur le mot περι a pour but de nous faire comprendre qu’il est ici question de direction, et plus exactement d’une direction sud-ouest. J’y retrouve la même notion expliquée dans différents documents relatifs à notre affaire.
1 – la direction de Bethsaïde vers Genesareth.
2 – la direction suggérée en page 150.
3 – la direction M de la stèle.
4 – la direction de la croix de Dieu dans LVL
5 – la direction de la dalle
6 – La direction du petit parchemin
7 – la direction représentée par le bâton du berger qui passe par le col d’Al Pastre et par le pas de la Roque.
8 – la direction de la pierre de Coumesourde.
Nous verrons dans la troisième partie de l’étude ce qu’il en est des autres erreurs.