Plusieurs mots grecs seront cités dans ce qui suit. Ils trouvent leur définition dans le Bailly , dictionnaire de grec ancien ( Dictionnaire Bailly)

* La double erreur sur ανναγνοσμα

Ce mot qui signifie «lecture» s’orthographie normalement ανάγνωσμα .

Ici aussi les deux erreurs sur ce mot (qui se trouve noté des dizaines de fois par l’annotateur L) sont incompréhensibles.

La première concerne le doublement de la lettre ν .

Il existe dans le codex des dizaines de mots ayant des sens différents et qui possèdent le groupement de lettres ανα ( avec un seul ν ).L’un d’eux concerne «la lecture», nous y reviendrons. Par contre, seuls deux mots contiennent le groupement αννα avec deux ν .

Le premier est le prénom Anna que l’on trouve dans Luc II-36:

καὶ [.] Ἅννα προφῆτις : Et Anna, une prophétesse…

Dans le dictionnaire Bailly, il est possible de vérifier qu’il est bien le seul à posséder le groupement αννα .

Lors de mes recherches, un chercheur en grec ancien m’avait proposé une déclinaison possible de «prophète» pour expliquer le mot προϕȣτησματων ( présent dans l’annotation de la page 150b ) . Nous savons maintenant que ce n’est pas le cas. Il est vrai que προϕȣτησ  ματων et προφῆτις ressemblent beaucoup. Le mot « prophète » et ses dérivés grecs, se retrouve de nombreuses fois dans les évangiles, c’est par exemple le cas dans Jean XII-38 ( προφήτου ).

Le second mot est propre à la bible et on le trouve dans un mot présent à deux endroits dans le codex Bezae , c’est le mot «Hosanna» : Matthieu 21-9 et surtout à Jean XII-13, dans le verset qui suit le texte du grand parchemin:

Ὡσαννά· εὐλογητὸς. ὁ ἐρχόμενος ἐν ὀνόματι Κυ [.] ὁ βασιλεὺς τοῦ Ἰστραήλ:

Hosanna! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d’Israël!

Κυ est une «nomina sacra» qui signifie Κυριος ( seigneur ).

La deuxième erreur concerne la lettre ω transformée en ο dans le groupement γνω

Si l’on recherche dans le codex Bezae les mots qui contiennent ce groupement, on constate qu’on les trouve dans des mots relatifs à deux sujets : La connaissance ( gnose ) et la lecture.

Rien que dans l’évangile de Matthieu on trouve :

On peut constater qu’ici un seul mot concerne la «lecture»,c’est le mot ἀνγνωτε. Alors imaginez ce prêtre lire des dizaines de fois ce mot au cours de l’année, et vous comprendrez qu’il n’avait aucune raison de doubler la lettre ν et de remplacer l’oméga par l’omicron dans le mot ανάγνωσμα qui signifie aussi «lecture».

* La simplification ANNOCMA

Scrivener, Harris et Parker l’ont remarqué [ ANNAGNOCMA (F 120b/23 et 121b/13 effacés) et ANNOGMA (60b et 62b) ]. De mon côté je pense que cette simplification conduit au mot ANNOCMA et non ΑΝΝΟΓΜΑ comme vous pouvez le constater sur la photo suivante ( page 62b ).

Cette page cumule toutes les erreurs: SABATOY ( le S se note C ) avec un seul B , la simplification du mot ANNAGNOCMA , le doublement de N et l’omicron!

ANNOCMA rappelle le mot HOSANNA . Cette simplification « nous oriente » de façon plus claire sur la page 150b, celle qui concerne Jean XII que l’on trouve dans le grand parchemin. Elle nous invite aussi à nous intéresser aux deux pages de l’évangile qui concernent cette erreur. Il existe bien un lien entre ces deux pages, dans chacune d’elles il est question de roi, de maître et accessoirement de fortune et de trésor . Dans les mots concernant « le roi » on retrouve la racine βᾶς (ὁ) qui signifie « roi » et « prince » ( Bailly , page 486 ).

Page 60b, Matthieu XVIII 23-35: parabole de la dette ou du serviteur impitoyable

βασιλεία: royaume , βασιλεῖ: roi , ὁ Kς: le maître ;

μυρίων ταλάντων.: dix mille talents

Page 62b, Matthieu XIX 1626: parabole du jeune homme riche

βασιλείαν: royaume ,βασιλείαν: royauté.

θησαυρὸν: trésor, κτήματα : richesse.

* La faute Κυριάκη ( ΚΥΡΙΆΚΗ )

Cette faute est particulièrement intéressante, mais rappelons en quoi elle consiste. L’annotateur J a placé un accent ( ou un esprit ) sur la lettre α du mot Κυριακή.

Si vous recherchez tous les mots Κυριακή écrits par cet annotateur, vous constaterez qu’il n’y a jamais mis d’accent. Mais cela va plus loin, car si vous recherchez tout ce qu’a écrit l’annotateur J, vous constaterez qu’il n’a mis d’accent sur aucun mot.

Revenons au mot Κυριακή qui signifie « relatif au Seigneur ». C’est un mot féminin dérivé d’un mot masculin : o κυριακός = le seigneur. L’expression d’origine était τῇ κυριακῇ ἡμέρᾳ ( textuellement «le seigneur jour» ). On ne retient que la première partie avec un accent sur la dernière lettre, jamais autre chose.

Par exemple dans une messe, le mot «Seigneur» est prononcé un nombre incalculable de fois, alors comment peut-on imaginer qu’un prêtre annotant les textes en grec ne le connaisse pas.

En définitive le mot Κυριάκη n’existe pas. Alors pourquoi mettre un signe diacritique ( accent ou esprit* ) sur une lettre alors qu’il ne l’a jamais fait ? Pourquoi commettre une telle erreur en le plaçant à la mauvaise position ?

Je pense qu’il cherche à attirer l’attention, mais pas que …

Cette faute particulière doit avoir un but lié à cette orthographe. J’ai donc cherché tous les mots commençant par Κυριά , puis υριά , puis ριά et enfin ιά . Aucun mot ne correspond aux trois premiers cas par contre quelques-uns commencent par ιά et correspondent à deux notions : celle de «soigner» mais surtout celle de «jeter, lancer» .

lancer

ἰάλλω (impf. ἴαλλον, f. et pf. inus., ao. ἴηλα) I tr. 1 lancer, jeter, envoyer : ὀϊστὸν ἀπὸ νευρῆφιν, Il. 8, 300, 309, lancer un trait d’un arc ;

ἰάπτω, f. ἰάψω [ῑ] I tr. 1 lancer, envoyer : ἰ. βέλη εἴς τινα, Eschl. Ag. 510 ; ἐπί τινι, Eschl. Sept. 544, lancer des traits contre qqn ;

ἰάχω (seul. prés., impf. ἴαχον, ao. itér. ἰάχεσκον, pf. Ἴαχα) [ᾰ] I intr. 1 crier, pousser un cri,

soigner

ἰάομαι-ῶμαι (impf. ἰώμην, f. ἰάσομαι [ᾱ], ao. Ἰασάμην [ᾱσ], pf. ἴαμαι [ᾱ]) [ῑ] 1 moy. soigner, guérir

Ce n’est qu’une interprétation, mais nous verrons que d’autres éléments me poussent à croire que le but était de nous orienter vers le mot «arc». ( Arcus en latin ).

* En grec ancien , la règle sur les accents est compliquée, celle sur les esprits ( autres signes que l’on peut placer sur une lettre ) l’est beaucoup moins. Pour votre culture, un esprit rude indique que la lettre devait être prononcée comme précédée d’un H aspiré ( à l’opposé, l’esprit qualifié de doux correspond à l’absence d’esprit rude ). Ainsi ἵππος ,( hippos = cheval ) comporte un accent et un esprit rude sur sa première voyelle. La présence d’un H au début du mot «hippopotames» ( cheval de rivière ) retranscrit la présence ancienne d’un esprit rude. Je m’éloigne, revenons à l’étude.

* Focus sur les erreurs

La transformation de tous les mots Ανάγνωσμα en ανναγνοσμα a pour but de nous orienter vers la page 150b. L’utilisation inutile du mot περι dans des dizaines d’annotations avait le même but. Comme je l’ai précédemment expliqué, dans le rite byzantin, le week-end qui réunit le samedi de Lazare et le dimanche des rameaux ( des palmes ) est en dehors des semaines qui le suivent ou le précède, c’est vraiment un week-end particulier et c’est lors de ce dernier qu’est lu Jean XII 1-12 . L’annotation de la page 150 est la plus grande et celle qui comporte le plus d’erreurs ( sept erreurs ).

* au commencement il y avait ἀρχῇ

Dans la première expression du premier verset du premier livre de la bible il est écrit ἀρχῇ:

Ἐν ἀρχῇ ἐποίησεν ὁ θεὸς τὸν οὐρανὸν καὶ τὴν γῆν

Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.

Dans le Bailly, trois pages sont consacrées aux mots grecs commençant par ἀρχ ( 405-406-407 ). Elles expliquent que ce préfixe se trouve au début des mots qui expriment l’autorité ( le chef, le maître de…). Nous trouvons par exemple :

ἀρχι·πάτωρ, ορος (ὁ) patriarche,

ἀρχι·ποιμήν, ένος (ὁ) chef des bergers,

ἀρχι·προφήτης, ου (ὁ) chef des prophètes,

ἀρχός, οῦ (ὁ) celui qui conduit : guide, etc, etc …

Logiquement certains d’entre eux sont liés à la royauté:

ἀρχικός, ή, όν : I (ἀρχή, autorité) 1 qui concerne l’autorité ou le chef : ἀ. πυθμήν, Eschl. Ch. 260, souche royale ; ἀ. γένος, Thc. 2, 80 ; Plat. Rsp. 444 b, race royale

ἀρχ·ηγός, ός, όν :|| 2 chef, roi, Eschl. Ag. 259 ; particul. chef militaire, Sim. (Thc. 1, 132),d’où adj. τιμαὶ ἀρχηγοί, EuR. Tr. 196, honneurs royaux

Dans Jean XII on le trouve trois fois sous les formes:

ἀρχιερεῖς: les grands prêtres ( v10 )

ἄρχων τοῦ κόσμου: le prince de ce monde ( v31 ) ou roi du monde ( ἄρχων =chef, roi , Bailly page 408 ) qui se traduit en latin par Rex mundi .

ἀρχόντων: les chefs ( v42 )

Mais cette notion d’autorité est celle que nous retrouvions aussi dans un mot étudié précédemment, le mot κύριος,= seigneur , souverain, maître : ( Bailly 1411/2608 ).

* En conclusion

Toutes les notions de chef, roi, prince, seigneur, maître etc …nous conduisent à ἀρχ , « le commencement » que l’on trouve noté en haut de la page où se trouve le texte de Jean XII ( et non noté dans la marge comme toutes les autres fois ).

ἀρχή signifie aussi le point de départ, le bout, l’extrémité, et c’est à partir de ce point qu’une droite de direction Sud-Ouest peut-être tracée.

 

Après quelques notions de latin, j’expliquerai dans la dernière partie les événements historiques qui se rattachent aux lieux et à l’époque où furent réalisés ces annotations.

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