* L’Arkhêgos

Dans l’étude précédente nous avons vu l’importance de la racine ἀρχ. Elle est « supérieure » aux autres mots que l’on peut utiliser dans la bible pour désigner un roi, un prince ou un maître  ( Prince ).

Il faut savoir que même le mot « télos » (τέλοϛ ) peut avoir cette notion de commandement (page 220: Des mots qui dans la langue Grecque… ). Donc un ἀρχ puis un τέλοϛ qui encadre une lecture, mettent en avant cette idée de commandement.

Cependant il faut rappeler que même dans le codex Vaticanus on retrouve cette façon de repérer un chapitre, et c’est pour cette raison que je dois nuancer ce que Parker dit quand il affirme que cette notation est unique dans le codex Bezae ( voir partie 1 de l’étude ). La différence semble être la façon de noter les lettres A et P qui sont très liées dans le cas du codex Vaticanus ainsi que la présence d’un τέλοϛ noté vraiment différemment.

Codex VATICANUS( 1409,1382,1384,1385,1471 )

* Notion de latin

À l’époque où fut annoté le codex Bezae ( du VI au IX siècle ), le latin était la langue utilisée à Lyon, mais aussi en Septimanie ( Langue parlée ).Au cours du temps le roman puis l’occitan l’ont remplacé.

Beaucoup de mots latins commencent par « arc » ( prononciation de ἀρχ ) et offrent des définitions qui ne peuvent que réjouir un chercheur RLCien. ( Dictionnaire Latin  ,pages 181-182 / 1440 )

arca, æ, f.coffre, armoire :

Arcădĭa, æ, f., Arcadie.

arcānum, ī, n. (arcanus), secret :

arcārĭus, a, um (arca), de coffre-fort,[c.-à-d.] relatif aux espèces, au numéraire :

arcĕra, æ, f., sorte de chariot couvert.

arcĭgĕrōn, ontis, m. (ἀρχιγέρων), chef des vieillards :

arcirma, æ, f., petit chariot :

arcĭtĕnēns (arquĭ-), tis, m. (arcus, teneo), porteur d’arc.

arcŭārĭus, a, um (arcus), qui concerne les arcs.

arcŭātim, adv., en forme d’arc .

arcŭātĭō, ōnis, f. (arcuo), arcade, arche.

arcŭātus ou arquātus, a, um, courbé en arc.

arcŭs ou arquŭs, ūs, m., arc .

Puis à la page 193

arx, arcis, f.citadelle, forteresse : place forte, ville : citadelle, défense, protection.

Cependant il est impossible d’affirmer que l’on peut y trouver la preuve de l’implication de l’annotateur L dans notre énigme. On ne peut juste que se poser des questions, et chacun y apportera sa propre réponse.

* Le sud de la France à l’époque de l’annotateur L

Au VIII siècle, l’Espagne puis la Septimanie subissent l’invasion islamique. En 719, après avoir conquis l’Hispanie wisigothique, les troupes musulmanes du califat omeyyade entrent en Septimanie, dernier territoire du Royaume wisigoth. Ce n’est qu’à la suite du troisième siège de Narbonne (752-759) que Pépin le bref met fin à la domination musulmane. Ce siècle a donc vu une migration importante des wisigoths vers le nord. À cette époque ces derniers n’étaient plus ceux d’Alaric et avaient depuis longtemps des échanges réguliers avec leurs « frères chrétiens » de Burgondie et d’Aquitaine .

* Théodulf et Leidrade

Théodulf d’Orléans avait des origines wisigothiques et était né vers 755 dans le nord-est de l’Espagne probablement en Catalogne ( région où l’on trouve des chrismes pyrénéens :Chrisme S). Sa famille s’établit aux alentours de 778 dans la région du Languedoc appelée Septimanie ( ou Gothie ). C’était un homme d’Église et un lettré de l’époque carolingienne qui fut ensuite évêque d’Orléans. Fort cultivé, il devint enseignant en Italie où il fut repéré par Charlemagne.

Leidrade fut évêque de Lyon. En 797-798 il fut envoyé par Charlemagne comme « missus dominicus » en compagnie de Théodulf, d’abord en Septimanie, puis en Espagne. Il entre alors en rapport avec Benoît d’Aniane et Nimfridius, abbé de Lagrasse et futur archevêque de Narbonne.

Leidrade eu comme élève Florus de Lyon qui dirigea ensuite l’école fondée par son maître. C’est ce dernier qui restaura le codex Bezae au IX siècle.

Le successeur de Leidrade à l’évêché de Lyon fut Agobard qui serait né en Espagne en 769. Ce dernier aurait gagné la région de Narbonne en 782 et se serait établi à Lyon en 792. L’origine hispanique, ou du moins Septimanienne d’Agobard est vraisemblable . Il est probable qu’il rencontra à Narbonne Benoît d’Aniane d’origine wisigothe.

Comme vous pouvez le constater, ces différents personnages qui gravitent autour de Lyon et de Rhedae se connaissent et se fréquentent.

En fait à cette époque, les wisigoths furent nombreux à apporter leur connaissance en Europe . ( L’Europe héritière de l’Espagne wisigothique de Jacques Fontaine et Christine Pellistrandi : En bas de page

* La Missi dominici

Théodulf a écrit le compte rendu de son voyage sous la forme d’un poème dont le titre est « parenesis ad judices ». On y retrouve le nom de Rhedae cité pour la première fois sous la déclinaison « rhedasque » :

( page 12 , 7eme ligne, Livre)

inde revisentes carcassona rhedasque

Theodulf et Leidrade étaient proches. Ils avaient beaucoup de respect l’un pour l’autre ( Theodulf , page 260 à 264 , pdf 287/379 ).

* Une simple hypothèse sans aucune ombre de preuve

Il n’est donc pas improbable qu’à cette époque « un secret » fut confié à Théodulf ( ou voir déjà connu par ce dernier ) et que l’annotateur L( Theodulf , Leidrade ou autre ) le consigna dans le codex Bezae au niveau du texte grec ( codex qui se trouvait à Lyon ). À cette époque, ce dernier devait être lu lors des messes dites en latin. Seul un prêtre pouvait alors comprendre la signification de « cet amas d’erreurs » inscrites dans la partie grecque.

* Germigny-des-Prés

À Germigny-des-Prés, à une trentaine de kilomètres d’Orléans, Théodulf fit édifier en 806 un oratoire qu’il orna d’une mosaïque absidiale d’inspiration byzantine. Elle représente l’Arche d’alliance entre deux chérubins, symbole qui remplace une représentation de Dieu ; cette chapelle est un des rares monuments d’époque carolingienne subsistant en France.La représentation de l’Arche accompagnée d’anges n’est pas surprenante. Elle est le reflet d’une querelle entre les iconophobes ( dont Theodulf ) et les iconoclastes. Je vous engage à lire la page de ce site et particulièrement les documents partagés à la fin de cette page.

Donc Théodulf ne pouvait pas représenter de figures humaines et encore moins Dieu. C’est pour cela qu’il représente des anges ( chérubins ) qui accompagnent l’arche, objet de la discussion.

Cette fresque est accompagnée d’une inscription :

ORACLUM SCM ET CERUBIN HIC ASPICE SPECTANS ET TESTAMENTI MICAT ARCA DEI HAEC CERNENS PRECIBUSQUE STUDENS PULSARE TONANTEM THEODULFUM VOTIS IUNGITO QUAESO TUIS »

( Oraculum s(an)c(tu)m et cerubin hic aspice spectans et testamenti en micat arca Dei. Haec cernens precibusque studens plusare Tonantem Theodulfum votis jungito quaeso tuis )

Que l’on peut traduire par :

Vois ici et contemple le Saint Oracle et ses chérubins, ici resplendit l’Arche du Testament Divin. Devant ce spectacle, efforce-toi de toucher par tes prières le Maître du Tonnerre et ne manque pas, je t’en prie, d’associer Théodulphe à tes vœux ».

Dans cette déclaration, un terme m’a interpellé : « le Maître du Tonnerre » .

C’est une bien étrange citation pour évoquer Dieu. J’ai recherché dans les évangiles un verset en relation avec « le tonnerre ». En fait il en existe deux.

Le premier parle de deux apôtres, les deux frères qui péchaient sur le lac de Genesareth.

Marc 3-17 Jacques, fils de Zébédée, et Jean, le frère de Jacques – il leur donna le nom de « Boanerguès », c’est-à-dire : « Fils du tonnerre »

Le deuxième est de loin le plus intéressant, car il y est question à la fois d’ange et de tonnerre, comme dans le cas de la représentation proposée par Theodulf :

En l’entendant, la foule qui se tenait là disait que c’était un coup de tonnerre. D’autres disaient : « C’est un ange qui lui a parlé. »

Sur les centaines de versets que comptent les évangiles, il est ici question de Jean XII-29.

On peut y lire à la suite la réponse de Jésus : « Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous. Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors » ( codex Bezae :ἄρχων τοῦ κόσμου que l’on peut aussi traduire en latin par Rex Mundi )

* En conclusions

On ne peut pas tirer de conclusion définitive, mais pour le moins constater « des rapprochements » avec notre affaire.

Si le créateur du grand parchemin n’avait eu accès qu’à Vigouroux, il ne pouvait pas soupçonner la présence de l’annotation de la page 150b du codex Bezae et toutes ses particularités que j’ai expliquées au cours de cette étude.

Pour ma part il est fort possible que cette page 150b représente le codage historique de l’énigme. En comparant les différents documents ( stèle, petit parchemin etc …) nous trouvons une constante, l’évocation d’une direction sud-ouest qui prend sa source à Arques.

Mais nous sommes bien d’accord, tant que rien n’est vérifié sur le terrain, tout cela ne reste que des hypothèses.

 

 

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